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DITO, UN COLLECTIF DE 10 DESIGNERS, INVESTIT LE LIEU DU DESIGN

EXPOSITION DU 15 FÉVRIER AU 6 MARS 2010


DÉMOCRATIQUE DANS SA GENÈSE ET INHABITUEL DANS SA FORME, LE DESIGN COLLECTIF DE DITO

TEXTE D'ALEXANDRE COCCO
Designer, journaliste,
fondateur du webzine
www.larevuedudesign.com


Initié en 2006, le collectif Dito réunit dix jeunes designers ayant l'ambition d'imaginer une méthode de travail collégiale et ouverte, dans laquelle le dialogue, l'échange et le partage sont privilégiés. Envisageant le design comme un moyen et non une fin, sa vocation est de se créer un langage commun et de dessiner un ensemble d'objets porteurs de cette réflexion. L'exposition « Dito From Scratch », présentée du 15 février au 6 mars 2010 à Paris, dans les murs du récent Lieu du design, témoigne de cette expérience.

Le postulat de départ de Dito (1) sonne comme un pari. À une époque marquée par un individualisme rampant et par une certaine « starification » du design (besoin pour les créateurs d'exister parmi les autres, besoin pour les marques de faire appel à des « signatures »), la volonté de travailler à plusieurs à l'élaboration d’un projet commun, collectif et s'élaborant dans la durée, peut paraître curieux. C'est cette étrangeté, probablement, qui a retenu l'attention des membres du jury de la bourse Agora (2). C'est aussi elle, assurément, qui est à l'origine d'une approche différente du projet de design que Dito a su, au fil des semaines et des mois, constituer.


(1) Le terme « Dito » signifie « déjà dit » ou « déjà vu ». On l'emploie notamment pour éviter la répétition d'un élément précédemment désigné. Dans l'esprit du collectif, il veut également dire que « ce qui a déjà été dit n’a pas besoin d'être répété », ou également « redire, mais autrement ».

(2) La bourse Agora est un financement biannuel reconnu dans le domaine du design, décerné par un jury de professionnels et de spécialistes du secteur. Elle permet à un créateur ou un groupe de créateur de mener une recherche personnelle. Dito en a été lauréat en 2007.

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S'organiser, pour créer de l'inattendu et se surprendre

« Cette méthode doit nous permettre de nous engager sur des pistes que nous n'aurions pas explorées seuls et arriver à des objets singuliers, décalés et surprenants. Pour cela, nous faisons en sorte de nous donner les moyens de créer de l'inattendu, des surprises pour nous mêmes. »
Collectif Dito.

Dès que divers éléments s'accumulent, se pose la question de leur organisation. Dans le cas de Dito, la constitution du collectif, le choix de ses participants, de ses outils, de son regard même, provenant d’une accumulation d’approches et de personnalités, nécessitait elle aussi une « mise en forme ». Il s'agissait déjà, en soi, d’un projet. Mais, au vu du nombre important de ses membres, il s'agissait d'un projet curieux, car il passait en premier lieu par une certaine acculturation : plutôt que de simplement partager des méthodes et des références, il a fallu réapprendre, partir de ce qui était commun – parfois presque rien (« from scratch (3) »…) – pour réinventer les possibilités d'un dialogue efficace.
C'est en partie cette « expérience », amenant chacun à découvrir de nouvelles modalités de travail – d'égal à égal au sein d'un même projet – qui a constitué la première marque de fabrique méthodologique du collectif.
La seconde fut celle du vocabulaire formel à développer. Le répertoire initial, regroupant des images apportées par chacun, analysées, discutées, retenues ou écartées, retravaillées, a constitué un premier socle. Disons une sorte de grammaire. Mais une grammaire spécifique, épurée des tics de langages des uns et des autres. Car lorsque l'on travaille a plusieurs, que l'on partage ses idées, ses ambitions et envies, les regards extérieurs rendent vite visibles nos propres références, nos préconçus. Sans avoir de volonté expressément novatrice, une des forces du collectif fut donc d'éviter les redites, écartant d'office ce qui était trop « commun » (à la fois trop « partagé » et trop « évident »).
Et l'outil pour parvenir à se surprendre, soi-même et collectivement, fut d'imaginer un vocabulaire non pas constitué de projets déjà réalisés, de références incontournables de la discipline, mais de formes « ouvertes », regroupées et organisées comme dans un dictionnaire dans lequel « on choisit les mots avec lesquels on compose des phrases afin de créer du sens. » Des formes, qui, combinées, manipulées, détournées, pouvaient générer des pistes de projets, des directions à explorer.


(3) « à partir de rien »

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Un espace de pensée ouvert

« Nous échangeons nos idées sans a priori pour créer un espace de pensée ouvert, et pour que les critiques soient constructives et fassent les projets. Le fait d’être nombreux nous permet de pousser les idées le plus loin. »
Collectif Dito.

En situant sa première intervention créative non sur des objets en eux-mêmes mais sur des signes pouvant les constituer, Dito a mis à plat une approche plus grammaticale que typologique, basée sur les assemblages, les rapprochements, les liaisons…
Mais travailler à plusieurs, sans rapports hiérarchiques, dans une sorte d'innovation ascendante où chacun peut, à partir des idées des uns et des autres, remonter le processus, le déconstruire et définir de nouvelles pistes, n'est pas sans contrainte. C'est plus long. Plus exigeant aussi, car les avis des autres co-designers peuvent amener chacun à revoir sa copie, à modifier, à pousser son raisonnement dans ses retranchements.
Une conséquence, peut-être inattendue, de cette méthode de travail fut ainsi de bénéficier, assez tôt dans la genèse de chaque projet, d'une somme importante de regards extérieurs. Car travailler à 10, à 12 ou à 15 – selon l'évolution, toujours en mouvement, des contours du collectif et du nombre de personnes qui le constituent – c'est évidemment bénéficier d'une force créative plus importante. Mais c'est aussi, en tant que designer, confronter d'emblée ses idées à 9, ou 11, ou 14 utilisateurs potentiels, avec leurs perceptions, leurs idées, leurs usages propres.
Traversés par une humilité permanente et nécessaire, où toutes les idées appartenaient à tout le monde, les projets de Dito ont cependant réussi à mûrir, comme mus par leur force propre. Et probablement, à aller plus loin, en s'éloignant de toute recherche de « style » ou de « signature » individuelle.

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Un design a-starifié, générateur d'objets en devenir

« L'intérêt de ce projet est qu'il réunit dans une même base de travail la personnalité de chacun et notre imaginaire à tous. »
Collectif Dito.

Au final, les propositions de Dito n'appartiennent à personne en particulier, sauf peut-être au collectif lui-même dans son entièreté. Et aucun de ses membres ne peut revendiquer individuellement la paternité de tel ou tel projet. Face à ce constat, Dito ne prétend d'ailleurs pas avoir ouvert une voie à suivre, tout juste une brèche dans un processus de création et de décision souvent très normalisé qui a souvent tendance, au final, à appauvrir les projets.
C'est aussi pour cette raison que les différentes contraintes (budgétaires, de matériaux ou de fabrication…) ont été repoussées au plus loin et au plus tard possible. Car seule cette approche leur permettait de maintenir les projets dans un état de « potentiel maximum ». Si ceux-ci devaient aujourd'hui être plus avancés, ils réduiraient leur champ de possibles, en étant confrontées à des réalités qui ne sont pas pour l'instant celles du collectif : des matériaux donnés, des outils de production, des contraintes économiques… Des éléments qui font évidemment parti de toute démarche de design, mais qu'il est aussi parfois nécessaire de savoir mettre de côté afin de ne pas contraindre trop tôt un projet dans son évolution. C'est donc comme un ensemble d'objets « potentiels » que nous devons voir et comprendre ces premières réalisations de Dito : des idées à la fois totalement maturées, mais encore ouvertes à une diversité d'interprétation individuelles ou techniques. Et si des matériaux, des couleurs ou des formes sont ici proposées, il faut imaginer qu'ils pourraient s'adapter à différents outils de production, différentes contraintes techniques.

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L'après ?

Prenant le contre-pied d'une époque où les démarches sont souvent personnelles, voire individualistes, et où le design est trop souvent utilisé comme un simple outil de communication, la démarche de Dito dénote et interroge.
Créant son propre contexte de travail, le collectif a en effet vécu cette aventure sans autre objectif que d'imaginer un nouveau vocabulaire, une poétique différente, et de se confronter à une méthodologie de travail totalement collégiale et démocratique (ce qui n'est, reconnaissons-le, pas si fréquent dans le design).
Cette première collection, envisagée par le groupe comme une expérience plus que comme un manifeste, abouti à une dizaine de projets singuliers, souvent multifonctionnels et ouverts à l'interprétation, qui dans leur ensemble interrogent nos perceptions et nos habitudes, remettant en cause ce que peut ou doit être un meuble, ce que peut ou doit être le « design ». Quelques observateurs attentifs évoqueront probablement, le regard teinté de nostalgie, le souvenir de collectifs incontournables du siècle passé, ayant marqué l'histoire du design. L'analogie est évidemment intéressante mais elle a ses limites, et il semble aujourd'hui plus pertinent de chercher à comprendre ce que la démarche de Dito possède de contemporain, dans sa réaction aux travers actuels – égocentrés et « communicationnels » – de la discipline par exemple, ou encore dans sa volonté de s'éloigner des circuits traditionnels de promotion, d'édition et de validation du design.
Alors une certaine critique demandera peut-être au collectif dans quelle perspective « réaliste », industrielle ou marketing, il inscrit son approche. Celui-ci répondra, espérons-le, qu'il est parfois aussi intéressant de questionner le processus que le résultat et que Dito From Scratch constitue, avant tout, une expérience, la possibilité d'une autre démarche : plus lente, plus partagée, inhabituelle. D'autres projets ou propositions pourraient, plus tard et dans d'autres contextes, venir et être confiés à Dito, et il serait d'ailleurs intéressant de voir comment sa méthode de travail lui permettrait de répondre aux contraintes d'un environnement plus normé, industriel par exemple.
Ces questions, et plus largement celle de l'avenir du collectif, restent ouvertes. Il appartient à Dito, désormais, d'imaginer leur réponse.

Alexandre Cocco
Designer, journaliste, fondateur du webzine www.larevuedudesign.com